Le droit à l’erreur : un levier de progrès et de performance

Et si l’erreur devenait un atout ? Loin d’être un simple faux pas, l’erreur peut devenir un levier puissant d’innovation, de motivation et de performance – à condition d’être comprise, encadrée et valorisée. De la culture « test & learning » au modèle HFO (Haute Fiabilité Organisationnelle), cet article explore comment transformer l’erreur en moteur de progrès, y compris dans le service public.

| vectorjuice - Freepik

Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends.

Nelson Mandela

Comprendre le droit à l’erreur

L’erreur, une réalité à valoriser

Définition : Dans cet article, le terme « erreur » désigne une action dont le résultat ne correspond pas à l’objectif initial, que ce soit à cause d’une prise de risque calculée ou d’un acte involontaire.

➡️ Il ne s’agit pas d’une transgression volontaire dans l’intention de nuire qui pourrait alors être qualifiée de faute et serait soumise à sanction.
➡️ Loin d’être synonyme d’incompétence, elle peut devenir une opportunité d’apprentissage, si elle est reconnue, analysée et partagée.

| pch.vector - Freepik

Le droit à l’erreur : une question de culture

Schématiquement, on distingue 2 dimensions culturelles et stratégiques pour le management de l’erreur :
➡️ Le modèle "Test and learning" où on cultive la prise de risque calculée pour optimiser la qualité et l’innovation.
➡️ Le modèle "HFO (Haute Fiabilité Organisationnelle)", tourné vers la sécurité par la maîtrise du risque et la prévention des défaillances, indispensable dans certains secteurs.

Oser l’erreur pour mieux innover : le modèle « Test & Learning »

Dans ce type d’organisation, la prise de risque calculée est encouragée et l’erreur acceptée voire valorisée et exploitée pour améliorer les performances collectives.

  • Innovation rémunératrice grâce au travail hors zone de confort (la prise de risque calculée peut rapporter gros : il existe de nombreux exemples dans « la Tech »).
    Motivation et engagement : l’individu se sent légitimé à proposer, tenter, échouer, recommencer.
    Agilité organisationnelle : capacité à s’adapter aux changements et à rebondir (quand on a l’habitude d’expérimenter, on a moins peur de l’inconnu et on développe ainsi ses capacités d’adaptation).
    La sécurité psychologique accroit la performance (cf exemple ci-dessous).

  • Exemplarité managériale : les dirigeants doivent reconnaître eux aussi leurs propres erreurs et montrer comment ils en tirent parti.
    Délégation de responsabilité et confiance dans les équipes.
    ✅ Encouragement du feedback constructif.
    ✅ Organisation apprenante basée sur des processus d’apprentissage collectifs : retours d’expérience, groupes « miroir », mentorat/tutorat, compagnonnage…).

  • ✏️ MAIF : Dans le cadre de son plan stratégique 2008-2014, la grande mutuelle historique (6.000 salariés) française des enseignants de l’Éducation Nationale s’est engagée dans une importante et délicate réorganisation structurelle. À cette occasion, elle a proposé aux 3.500 personnes concernées de choisir entre 2 options : soit conserver leur métier et déménager, soit ne pas déménager mais accepter de changer de métier. Les organisations syndicales ont alors demandé des garanties. La MAIF, a donc signé en 2012 un accord qui admettait qu’un salarié pouvait commettre des erreurs, le temps de se faire à son nouveau métier. Cette expérimentation du « droit à l’erreur » a tellement bien fonctionné que la « tolérance à l’erreur » a été ajoutée à un nouvel accord sur la qualité de vie au travail et la prévention des risques psychosociaux en 2014, de manière à inciter managers et collaborateurs à tirer parti des erreurs et à les considérer comme une source d’amélioration. 1

    ✏️ Google : Une étude interne a révélé que ses équipes les plus performantes étaient celles où les membres se sentaient psychologiquement en sécurité et en particulier, autorisés à se tromper sans crainte d’être jugés. 2

    ✏️ BlaBlaCar : L’entreprise formule le management positif de l’erreur au sein de ses 10 valeurs d’entreprise dont « Échoue, apprends, réussis » (pour souligner que l’erreur et les échecs font partie de l’apprentissage) et « Ne présume jamais, contrôle toujours » (pour mettre en avant la rigueur nécessaire à l’évitement des erreurs). 3

    ✏️ 3M : La charte de cette entreprise valorise l’expérimentation et accepte les erreurs comme partie intégrante de la création. 4

L’erreur maîtrisée : le modèle « HFO »

Dans certains secteurs sensibles la sécurité est fondamentale (santé, aviation, nucléaire…), car l’erreur peut avoir des conséquences lourdes. La culture HFO vise à réduire drastiquement les risques* pour renforcer la sécurité des usagers ou des patients et alléger la pression qui peut se révéler écrasante sur les professionnels du secteur.
*Le risque est un événement potentiel incertain dont la survenue pourrait avoir un impact négatif.

Définition : Le modèle HFO repose ainsi sur une gestion du risque, défini comme la combinaison entre 2 facteurs clés : probabilité d’occurrence et gravité des conséquences (impact).

Exemples d’interprétation

✏️ Un risque peu probable mais à fort impact (ex. : accident nucléaire) reste significatif et nécessite une surveillance et des mesures préventives.
✏️ Un risque très probable mais à faible impact (ex. : petite panne informatique) peut être tolérable mais doit être géré dans les opérations courantes.

Exemple de matrice des risques
Exemple de matrice des risques | CEDIP
  • Signalement précoce des incidents sans peur de sanction, qui permet d’en réduire la gravité, grâce à une culture non punitive.
    ✅ Culture de la prévention du risque par le recours à de « bonnes pratiques » qui permet de réduire la probabilité de survenue d’un accident.
    Réduction de la charge mentale et de la « pression » chez les professionnels (amélioration de la QVCT).
    Management plus humain.

  • ✅ Des moyens à la hauteur des enjeux (vérification mutuelle, travail en binôme…).
    ✅ Encouragement du feedback, culture de la transparence.
    Solidarité verticale : hiérarchie protectrice et non punitive.
    ✅ Organisation apprenante basée sur des processus d’apprentissage collectifs : retours d’expérience, groupes « miroir », mentorat/tutorat, compagnonnage…).

  • ✏️ Chez Air France, une charte de non-punition de l’erreur favorise une communication ouverte pour prévenir les incidents et améliorer les procédures. 5

    ✏️ À l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, une charte 6 engage les équipes à signaler les événements indésirables pour en tirer des leçons concrètes.

Faire de l’erreur un outil de performance

Fixer un cadre clair

Le droit à l’erreur ne signifie pas tolérance au laisser-aller. Il s’agit de créer un cadre sécurisé :

  • En « test & learning » il faut un cadre expérimental assumé, en posant les règles du jeu dès le départ.
  • En HFO le recours à des démarches « qualité » est souvent nécessaire.

Sans balises, le droit à l’erreur devient flou, inefficace… voire dangereux.

Tirer les leçons de ses erreurs

Adopter une démarche d’analyse constructive pour transformer l’échec en levier d’amélioration continue.

Méthodologie  : les 4 questions clés à se poser pour analyser une erreur de manière constructive :
1️⃣ Qu’est-ce qui a bien fonctionné ?
2️⃣ Qu’est-ce qui a mal fonctionné ?
3️⃣ Qu’avons-nous fait que nous n’aurions pas dû faire ?
4️⃣ Que pourrions-nous faire différemment ?

Conclusion

Le droit à l’erreur ne se décrète pas : il se construit, se structure et se cultive.
Il ne s’oppose pas à la performance, il en est un levier, à condition de s’inscrire dans une culture organisationnelle claire, éthique et apprenante.

Dans la fonction publique, la reconnaissance du droit à l’erreur n’est pas encore très répandue.

➡️ Déjà reconnu aux usagers depuis 2018 par la Loi ESSOC (loi pour un État au service d’une société de confiance) et dans la fonction publique hospitalière (cf exemple de l’AP-HP ci-dessus), son extension (modèle « HFO » ou « test and learning » en fonction des spécificités des services) aux agents de la fonction publique de l’état et de la fonction publique territoriale permettrait :

  • d’encourager la prise d’initiative et l’innovation,
  • de développer la motivation et l’engagement,
  • d’augmenter l’agilité organisationnelle,
  • de réduire la charge mentale liée à la peur de la faute (amélioration de la sécurité psychologique) et en conséquence d’accroître la performance,
  • de développer la culture de gestion des risques (le risque zéro n’existe pas).

➡️ Pour ce faire, trois leviers opérationnels pourraient, de manière non-exhaustive, être activés :

  1. Intégrer le droit à l’erreur dans les Chartes « QVCT ».
  2. Ancrer la culture « organisation apprenante » dans les services.
  3. Former les encadrants à la gestion managériale de l’erreur.

➡️ En outre, cette reconnaissance serait de nature à renforcer l’attractivité de la fonction publique, la qualité du service rendu aux usagers et la résilience des équipes, autant de sujets aux enjeux particulièrement prégnants.

Pour aller plus loin

Une production CEDIP

Partager la page

Sur le même sujet