La QVCT au quotidien, comment faire ? Entretien avec Michel Bernard, manager et coach des ministères sociaux

Apprendre et adopter collectivement des « habiletés » motrices et mentales pour améliorer la qualité de vie et les conditions de travail de son équipe…
Mens sana in corpore sano 1

CEDIP Michel Bernard, vous êtes un manager expérimenté (ancien directeur départemental de la jeunesse et des sports, directeur adjoint de CREPS, …), formateur en RH, animateur « codéveloppement », coach des ministères sociaux, auteur de 2 livres « Cultiver la sérénité au travail » et « Développer des relations de coopération en milieu professionnel - Sortir des rapports de forces ». Nous avons déjà eu l’occasion de nous entretenir avec le manager. Nous souhaitons aujourd’hui échanger avec le coach en lien avec la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT).

CEDIP : Dans un premier temps, pouvez-vous vous présenter brièvement s’il vous plaît ?

Michel Bernard : merci déjà, car j’apprécie la démarche du CEDIP de venir rencontrer les acteurs de terrain.
J’ai 64 ans et j’ai commencé ma carrière à 23 ans. J’ai toujours baigné dans la formation. Dès ma prise de fonction en tant qu’inspecteur « jeunesse et sport » j’ai eu à assumer des responsabilités managériales 2. Par la suite j’ai souhaité varier mon expérience de manager en travaillant en CREPS. Ce sont des centres de formation d’éducateurs sportifs et d’accompagnement de sportifs de haut niveau 3.
Après un passage à la DRJSCS, comme responsable formation et coach, en complément de mon poste actuel à la DREETS Occitanie en tant que responsable des formations, j’exerce une mission nationale de coach auprès des managers et des collectifs des ministères sociaux dans le cadre du pôle coaching et d’accompagnement des organisations crée en 2015.

Afin d’améliorer mes pratiques managériales, j’ai suivi régulièrement des formations tout au long de ma carrière en m’interrogeant sur l’application des outils proposés dans le quotidien du manager. Dans ce cadre, j’ai beaucoup investi en particulier avec le processus de communication dénommé CNV (Communication Non Violente). Cela a abouti à la rédaction de mon premier livre « Développer des relations de coopération en milieu professionnel - Sortir des rapports de forces » qui présente et illustre à l’aide d’expériences professionnelles concrètes le concept de CNV développé par Marshall B. Rosenberg, psychologue américain de renom (que j’ai eu la chance de rencontrer dans une formation à Paris). Je me suis ensuite formé au coaching dont j’aurais aimé bénéficier en tant que jeune cadre sans formation managériale à la sortie de « Sciences Po ».

CEDIP : Qu’est-ce qui vous a motivé dans la mission de coach ?

Michel Bernard : Très bonne question, ça remonte justement au début de ma carrière comme jeune cadre sans expérience en management. Si j’avais eu quelqu’un à mes côtés, dans un espace de confidentialité en dehors du lien hiérarchique, ça aurait été super ! En fait ce que j’inventais dans ma tête, c’était le métier de coach. La motivation pour le métier de coach est donc venue très tôt pour combler un manque et accompagner des jeunes professionnels et cadres.

CEDIP : Existe-t-il un lien entre coaching, management et qualité de vie et des conditions de travail ?

Michel Bernard : Je vais d’abord rappeler brièvement ce qu’est un coach
Le coaching est une méthode issue du sport venue des USA. Il s’agit en quelque sorte, de créer un espace-temps singulier, confidentiel, entre le coach et la personne ou le collectif accompagné, pour lui/leur permettre de se projeter dans le futur avec lucidité, sur la base d’un contrat d’objectif (nombre de séances de coaching déterminé à l’avance). Le coach est comparable à un accompagnateur en montagne : il ne doit être ni loin devant, ni derrière, mais à côté. C’est un facilitateur qui offre au manager un espace-temps de confiance, de lâcher prise qui permet de gagner du temps en posant les bonnes questions au bon moment pour faire émerger de la personne/l’équipe les ressources et les solutions.
Personnellement, en tant que coach des ministères sociaux, je suis amené à accompagner des manageurs et des collectifs.
Le coach et le manager ont en commun de savoir que la performance au travail est très dépendante de la forme physique et mentale des membres de l’équipe. Le manager comme le coach doivent être proches et prendre soin. Par exemple, pendant la crise du Covid, les bons managers ont su rester en contact avec leurs agents.

CEDIP : Pourriez-vous présenter plus en détails quelques outils de QVCT (relationnel, rituel…) ?

Michel Bernard :

  • Tout d’abord la communication non violente (CNV) initiée par Marshall Rosenberg est un outil efficace et bienveillant de communication. J’ai compris que le manager a tout intérêt à privilégier la négociation à l’exigence (qui créée de la résistance). D’où l’idée de travailler la relation professionnelle en termes de demande en partant des besoins. Un manager ou un collaborateur peut utiliser la CNV pour travailler des relations de façon beaucoup plus coopérative.

Dans mon deuxième ouvrage « Cultiver la sérénité au travail », je développe davantage les outils en matière de QVCT :

  • Un manageur a tout intérêt à se questionner sur les trois points suivants :
    • Comment je me mets en forme le matin ?
    • Comment je fais face à un moment de stress important ?
    • Comment je me ressource au quotidien ?

Je propose quelques pistes :

  • Pratiquer la pause respiration, chacun à sa manière. Il est essentiel de savoir couper avec les ordinateurs, smartphones, s’autoriser à sortir du bâtiment, marcher et respirer puis revenir dans son espace de travail.
  • Se mettre des limites, notamment des butoirs temporels. Quelqu’un qui termine tous les soirs à 22 h se met en danger dans la mesure où il a vécu une journée de travail sans interruption.
  • Se donner le droit à la déconnexion numérique le week-end (sauf pour les personnels concernés par des astreintes spécifiques) qui est aujourd’hui reconnu dans la fonction publique.
  • Prévoir des rituels, des réflexes, ou encore des habitudes aidantes : Prioriser vos tâches de la journée par un rendez-vous avec vous-même, avant de déclencher l’avalanche des courriels arrivée, en inscrivant vos actions prioritaires du jour sur une liste (« To do list ») plutôt que de vous laisser submerger. Et pourquoi ne pas commencer votre journée par une séquence de cohérence cardiaque. A chacun de trouver sa méthode visant à se mettre en position de ressource plutôt qu’en stress, dès le début de la journée. L’essentiel pour le manager est de prendre soin de soi, de protéger sa santé physique et mentale, prérequis pour prendre soin de ses collaborateurs.
  • Et Instaurer des rituels collectifs pas seulement pour traiter du fond mais pour préserver la bonne santé d’une équipe. Par exemple, commencer la journée par partager des bonnes nouvelles. Prévoir des journées hors les murs pour souder l’équipe et faire en sorte que le collectif ne soit pas que dans les dossiers, « le dur » ce qui risquerait de conduire le collectif à l’épuisement. J’ai le souvenir d’une sortie collective en chien de traineau encadrée par des professionnels du milieu, sur l’Aubrac avec le personnel de la DDJS de l’Aveyron qui a permis de partager un vécu fort de soutien pour toute l’équipe.

CEDIP : Belle transition avec le bain de forêt que nous allons tester début Juin avec vous.

Michel Bernard : Oui, je suis aussi guide de bain de forêt formé au sein d’une fédération européenne. C’est une vraie opportunité pour une équipe d’être à l’extérieur et ressourcée par la nature. C’est une immersion sensorielle dans un espace arboré, non par une connaissance intellectuelle, mais en revenant à ce que nous avons pu vivre enfants en grimpant dans les arbres, en vivant dans l’instant au contact de la nature, et ainsi sans être encombrés par le mental parfois pesant de l’adulte….

CEDIP : Il y a une notion d’extérieur mais également de mouvement. Nous sommes en train de travailler sur la sédentarité (vs activité physique) et productivité.

Michel Bernard : Tout à fait, je partage avec les scientifiques qui nous le démontrent que la marche est l’essence de l’homme. L’homme n’est pas fait pour être assis derrière un bureau. C’est notre époque moderne qui nous a rendus sédentaires. Les managers pourraient s’inspirer du sport de haut niveau où les joueurs ne sont pas liés par le mental mais par l’activité et la posture physique. Leur cohésion passe par le corps en mouvement. Comment renouer avec ce sentiment d’appartenance qui permet quand un individu faiblit, d’être porté par le collectif. Les séquences de « team building », avec des exercices de déplacement collectif, de créativité motrice passant par le corps favorisent la cohésion d’équipe.
Je conclurai en rappelant que notre qualité de vie au travail passe par une approche globale qui prend en compte la santé physique et mentale. Les managers ont un rôle important en termes d’exemplarité à jouer en mettant en place des actions de prévention et en sensibilisant leurs équipes à l’importance de prendre soin d’eux-mêmes. Des formations aux "bons gestes" existent déjà pour les travailleurs manuels. Je propose d’étendre ce concept aux travailleurs intellectuels pour leur apprendre à gérer le stress, la charge mentale et la sédentarité. Ces "bons gestes intellectuels" incluent la gestion du temps, l’organisation du travail, le partage et la coopération, le ressourcement par des activités comme les bains de forêt, la méditation ou la cohérence cardiaque…Et finalement, nous revenons à des sagesses déjà connues depuis des siècles : mens sana in corpore sano !

Propos recueillis par le CEDIP le 9 avril 2024.

Notes et références

1Devise latine "un esprit sain dans un corps sain"

2Successivement : directeur départemental adjoint de la « jeunesse et des sports », directeur départemental de la « jeunesse et des sports », en Aveyron à Rodez, puis en Saône-et-Loire à Mâcon.

37 années au CREPS de Reims et 8 au CREPS de Montpellier en qualité de Directeur-Adjoint

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